2024年5月4日土曜日

Résister à l’Histoire « Contre-espace » et fragment dans l’œuvre de Wols, 1939-1945

Résister à l'Histoire « Contre-espace » et fragment dans l'œuvre de Wols, 1939-1945


  • 29 Jean-Paul SARTRE, « Doigts et non-doigts », préface aux Aquarelles et Dessins de Wols, Paris, Delpi (...)

8Dans le Pantin (1940), métaphore de la situation du peintre, Wols présente un personnage amputé et attaché à une structure complexe, tournant le dos aux éléments de la scène. Face à cette déshumanisation de la situation limite vécue par l'artiste, comment se libérer des liens qui le figent – à moins que ce ne soient ceux de l'inconscient du peintre ? Les productions au camp des Milles exposent leur propre nature d'image ­– double puisque l'image désigne tout en dévoilant son existence. La matérialité du dessin est mise à nu, la ligne ne capte plus les choses, et l'absence volontaire de « maîtrise » des moyens et des fins crée une imagerie troublée. Cette imprécision ne dissimule pas la nature épistémique de la représentation ouverte sur l'espace de l'imaginaire, qui agit et invente le « contre-espace » qu'est la perception de l'artiste. L'image crée son propre lieu mental, aiguisé par la vision directe ou sensitive de l'artiste englouti par l'internement, au point que « la vision du dedans s'extériorisera sur "une toute petite feuille" par une imperceptible agitation des doigts »29.


  • 29 Jean-Paul SARTRE、「Digts et non-dioigts」、ウォルズの水彩画とドローイングの序文、パリ、デルピ(...)

8画家の状況の比喩であるパンタン(1940年)では、ウォルズは切断され、複雑な構造に付着したキャラクターを提示し、シーンの要素に背を向けます。アーティストが経験した境界状況のこの非人間化に直面して、彼を凍らせるリンクから自分自身を解放する方法 - 画家の無意識のものでない限り?キャンプ・デ・ミルズでのプロダクションは、独自の画像の性質を暴露します - 画像がその存在を明らかにしながら指定するので、二重です。図面の物質性はむき出しにされ、線はもはや物事を捉えず、手段と目的の「習得」の自発的な欠如は、問題のあるイメージを作成します。この不正確さは、アーティストの知覚である「カウンタースペース」を行動し、発明する想像上の空間のオープン表現の認識的性質を隠すものではありません。

画像は、「内側のビジョンは、指の知覚できない動揺によって「非常に小さなシート」に外部化される」という点まで、抑留によって飲み込まれたアーティストの直接的または敏感なビジョンによって研ぎ澄まされた独自の精神的な場所を作成します29

29サルトル


https://journals.openedition.org/atlante/14734


Texte intégral

  • 1  Ossip MANDELSTAM, « Le siècle » (1922), in Le Deuxième Livre (1916-1925), Belfort, Circé, 2002, p. (...)

Mais tu as l'échine brisée,
Mon beau, mon pitoyable siècle !
Faible et cruel en même temps,
Comme un fauve souple autrefois,
Tu regardes stupidement
Les empreintes laissées par toi…1
Ossip Mandelstam

  • 2 Dans cet article, nous avons choisi la majuscule pour Histoire afin de distinguer l'Histoire, celle (...)
  • 3 Theodor W. ADORNO, Minima Moralia (1951), Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 118.

1L'Histoire2 du XXe siècle a imposé à un grand nombre d'artistes et d'intellectuels une situation d'exil dès le début des années Trente. Face à cette situation, ils vont tenter de comprendre cette nouvelle existence et d'y répondre. L'imaginaire des exilés de 1933 à 1945 s'est construit sur la notion de transit, de passage d'une culture à une autre, et sur l'antifascisme. Afin de résister, l'artiste s'invente un nouveau monde, un nouveau chez soi, et « pour qui n'a plus de patrie, il arrive même que l'écriture devienne le lieu où il habite »3. Vivre et subir l'Histoire rend plus prégnante la question de la relation de l'artiste au monde, indissociable de celle de la représentation, faisant surgir le caractère artificiel de la construction de la réalité, et en propulsant le transitoire, l'aléatoire, l'immédiat comme de nouvelles données. L'artiste doit repenser les paramètres et les limites de son identité et de sa pratique, et transforme le statut de l'œuvre plus que jamais composite, et symbolique.

  • 4 Alfred Otto Wolfgang Schultze (1913-1950) adopte le pseudonyme de Wols en 1937. Ce nom est dû à une (...)
  • 5 André FONTAINE, « L'internement au camp des Milles et dans ses annexes (septembre 1939-mars 1943) » (...)

2De nombreux écrivains et artistes allemands devenus du jour au lendemain des ressortissants « d'un pays ennemi », furent « invités » par des appels officiels dans la presse à se rendre dans des centres de rassemblement où une commission de criblage devait statuer sur leur sort. Parmi ces artistes, Wols4, interné à partir dès le début de 1940 au camp des Milles5, ancienne briqueterie près d'Aix-en-Provence, où il côtoya des intellectuels et des artistes allemands, parmi lesquels des peintres, Hans Bellmer, Robert Liebknecht, Léo Marschütz, Ferdinand Springer ou Max Ernst. Enfermés dans des camps, après avoir connu la solitude, la précarité, les angoisses et toutes sortes de privations, ces artistes, écrivains et intellectuels, ennemis du nazisme, partagèrent la même expérience et donnèrent forme à l'Histoire et à leur histoire. Exilé et apatride, interné, comment vivre cette situation en peintre ? L'errance et l'internement déterritorialisèrent la création et introduisirent une nouvelle temporalité.

  • 6 Walter Benjamin a été interné de septembre à novembre 1939 dans les camps de Colombes et de Nevers.
  • 7 Pour ce qui concerne le statut textuel problématique des « thèses » et l'histoire de la transmissio (...)
  • 8 W. BENJAMIN, Sur le Concept d'histoire, in Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 20 (...)
  • 9 G. Raulet les rapproche des fragments de Friedrich Schlegel, op. cit., p. 258.
  • 10 Lettre de W. Benjamin à Gretel Adorno, fin avril-début mai 1940, Correspondance (1930-1940), Paris, (...)
  • 11 Ibid.
  • 12 Écrits dans l'urgence, ces textes ne devaient pas être publiés. Ils furent envoyés à des amis proch (...)
  • 13 W. BENJAMIN, Paris, capitale du XIXe siècle, in Œuvres III, op. cit., p. 494. Pour Benjamin, les im (...)
  • 14 Emmanuel LÉVINAS, Humanisme de l'autre homme, Montpellier, Fata Morgana, 1972, p. 26.
  • 15 T. W. ADORNO, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1982, p. 36.
  • 16 Ibid., p. 48.

3Walter Benjamin a analysé le temps de l'interruption dans lequel la question du langage est centrale. En 1940, après des années d'exil et des semaines d'internement dans les camps en France6, Walter Benjamin rédige dix-huit thèses Sur le concept d'histoire7. Sa pensée est liée à l'expérience, et à une critique d'une conception de l'Histoire devenue « intenable »8 et incapable de s'acquitter d'un travail de construction, inhérente à toute enquête historique. Élaboré à partir de ce moment tragique de l'histoire, l'éclosion de ce texte-fragments9 semble intimement liée aux circonstances historiques : « La guerre et la constellation qui l'a amenée m'ont conduit à mettre par écrit quelques pensées dont je peux dire que je les ai tenues enfermées, oui, enfermées face à moi pendant vingt ans »10. Leur valeur « expérimentale »11, comme le prouvent les différentes versions, les changements dans l'ordre des paragraphes, mais aussi leur forme fragmentée et leur inachèvement12, révèlent aussi ce temps des catastrophes dont parle Benjamin. Celles-ci rompent le continuum du temps linéaire, qui, brisé, provoque une modification de l'écriture de l'histoire, incapable désormais de suivre le fil continu du temps, puisque sans doute « l'histoire se désagrège en images, et pas en histoires »13. Cette forme fragmentaire et cet inachèvement récusent la continuité, mais s'associent à une manière d'être au monde où « le corps sera pensé comme inséparable de l'activité créatrice »14. Or, le mode d'expression, modifié, perturbé suffit-il à traduire ce qui est de l'ordre de l'impensable, de la mutilation, ou de la perte ? Si « la contrainte de la réalité extérieure sur les sujets est devenue absolue »15, l'œuvre d'art ne peut pour s'y opposer que « se faire semblable à elle »16. De même, pour le peintre Wols, si l'œuvre endosse sa propre perte et sa propre ruine, abandonne la forme comme totalité pour affirmer le fragmentaire et le discontinu, elle présente également un imaginaire qui agit, et exprime la perception du peintre, proposant ce que Raoul Ubac nomme un « contre-espace » :

  • 17 Raoul UBAC, « Le contre-espace », Messages, 1942, cahiers I, p. 37.

Il faut se persuader qu'un objet peut tour à tour changer de sens et d'aspect suivant que la flamme poétique l'atteint, le consume ou l'épargne. Dans un monde ainsi recréé les rapports de sujet à objet sont renversés sinon abolis au point que là, où, auparavant, les objets, la réalité, s'inscrivaient dans un espace passif, ils se tordent maintenant dans la convulsion du contre-espace poétique17.

« Contre-espace » vs « nulle part »

  • 21 Patrick WALDBERG, Max Ernst, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1958, p. 330.
  • 22 WOLS, Aphorismes, Paris, Flammarion, 2010, p. 138.
  • 23 Ibid., p. 135.
  • 24 Wols, "Circus Wols", document 5, III in Barbara WUCHERER, Ein Phänomen des Stolperns – Wols' Bildni (...)

5Les artistes et les écrivains au camp des Milles ont exprimé leur expérience dans de nombreuses œuvres, quoique celles-ci ne constituent pas un témoignage de leur internement où, d'après Max Ernst, « les conditions générales du camp tenaient le juste milieu entre la Pologne, c'est-à-dire le "nulle part" du père Ubu, et les sombres étouffoirs de Kafka »21. Wols invente des formes plastiques d'évasion, tels des montgolfières et navires, mais aussi entre le grotesque et de l'hybride. L'artiste développe également un projet d'art total, Circus Wols, pour « opérer de manière démocratique l'éducation du goût et de l'opinion publique, en popularisant les domaines qui jusqu'alors étaient réservés à certaines classes seulement ». Il le pense pour « établir une relation entre l'art en général, la science, la philosophie et la vie humaine »22, même s'il sait que son projet « ne sera jamais réalisé » et à jamais qu'« une hypothèse »23. Formé de trois aquarelles et de quelques pages manuscrites, ce projet montre une expression modifiée qui a pris forme à travers l'imaginaire de l'artiste, modelé par son sentiment d'insécurité et son anxiété, et pose la question du sujet dans le processus artistique à un moment où l'artiste semble être dépossédé de sa propre histoire. Wols comprend la dualité entre réception et projection mise en place entre le sujet et l'objet et sous-entend cette relation illustrative au monde. Avec Circus Wols, l'artiste donne une conception de l'unité, un projet avant-gardiste, utopique et humaniste, « une nouvelle (méthode ? ou manière ?) de démontrer l'homme »24, alors que l'optimisme est hors de propos. Si le concept maintient l'utopie, l'inachèvement du Circus Wols atteste la fin d'un rêve avant-gardiste d'un art total mais surprend par sa forme paradoxale de viser l'unité par des fragments. Dans ces trois aquarelles, Wols donne à l'internement une figure reconnaissable : l'arène et le peuple fait de créatures fantastiques et monstrueuses qui peuvent servir de dernier ancrage à la conscience face à un réel perçu comme intolérable et une situation incontrôlable.

  • 25 Eléphant et bateaux, vers 1939/1940, aquarelle et encre de chine sur papier Ingres, 36,2 x 27,7 cm, (...)
  • 26 Sans titre (1940), 30 x 24 cm, aquarelle et encre de chine sur papier, collection privée, Hamburg ; (...)

6À partir de son internement, sa vision des choses se transforme en une attitude à laquelle le monde extérieur n'a rien à opposer. Conçues dans l'immédiateté et le provisoire, ses œuvres ouvrent une nouvelle voie dans sa production artistique. Pour Wols, qui a commencé à boire pendant son internement, épanouissement et destruction se rejoignent : l'alcool modifie aussi bien sa perception que sa maîtrise du dessin en l'éloignant d'un savoir acquis. L'ivresse rend compte de la perméabilité entre l'extérieur et l'intérieur : l'artiste voit sa présence au monde bouleversée par des identifications insupportables venues de cette extériorité et son expression révèle les difficultés vécues. Dans ses aquarelles, qui possèdent quelques indices de son quotidien, il crée des êtres hybrides dans de libres associations qui mettent à distance les événements subis. Pour exemple, dans Eléphant et bateaux25 (1939/1940), plusieurs éléments se superposent : si la silhouette de deux bateaux et celle d'un éléphant semblent dans leur ensemble conservées, d'autres formes surgissent à partir de transformations et d'hybridations. Les parois en briques (murs ou tour, indices récurrents de ses aquarelles) y constituent l'antithèse du bateau avec lequel elles cohabitent. Tandis que dans cette œuvre, la tour prend place sous l'arc de pierre avec un mât et une voile, dans d'autres aquarelles26, elle se place sur un talus ou se cache en partie derrière celui-ci. Cette architecture carcérale apparaît entourée d'objets qui la contredisent mais, isolée ou reliée, elle impose sa présence statique et obsédante : sa forme close reste immuable, alors qu'autour d'elle tout se transforme et évolue dans l'espace du dessin. Cette pratique combinatoire métamorphose les figures du quotidien et les éléments graphiques, favorise l'invention et garantit la liberté de son psychisme face à l'aliénation de l'enfermement par des personnages composites et fantaisistes.

  • 27 Gaston BACHELARD, L'Air et les Songes. Essai sur l'imagination du mouvement (1943), Paris, Livre de (...)
  • 28 Ibid., p. 8.

7L'imagination est, selon Bachelard, cette capacité à « déformer les images fournies par la perception, […] la faculté de nous libérer des images premières, de changer des images »27 et de « s'élancer vers une vie nouvelle »28. Le jeu des formes, ainsi que celui de leur organisation et de leur association, repoussent les limites du possible pour constituer le dernier rempart contre la submersion du sujet dans l'anxiété et la passivité. L'artiste se sert de la technique peu couvrante de l'aquarelle, de la déformation des lignes, des infimes variations du trait et de l'utilisation subtile des plages de couleurs pour créer des relations non déterminées sur l'espace-plan. Les éléments récurrents, tels que les bateaux-fantômes, les montgolfières, le mur ou l'enceinte de briques, la bouteille, jamais identiques, accompagnent l'instabilité des impressions mentales et concrétisent en images matérielles cet imaginaire. L'apparente spontanéité de l'exécution s'exprime dans le graphisme avec des lignes, des traits incertains qui renforcent la mobilité de l'image.

Fig. 1

Fig. 1

Wols (Alfred Wolfgang Otto Schultze), Éléphant et bateaux, c.1939/1940, 36,2 x 27,7 cm, aquarelle et encre de chine sur papier Ingres, collection Karin Hollweg, Bremen.

© Adagp, Paris 2018.

  • 29 Jean-Paul SARTRE, « Doigts et non-doigts », préface aux Aquarelles et Dessins de Wols, Paris, Delpi (...)

8Dans le Pantin (1940), métaphore de la situation du peintre, Wols présente un personnage amputé et attaché à une structure complexe, tournant le dos aux éléments de la scène. Face à cette déshumanisation de la situation limite vécue par l'artiste, comment se libérer des liens qui le figent – à moins que ce ne soient ceux de l'inconscient du peintre ? Les productions au camp des Milles exposent leur propre nature d'image ­– double puisque l'image désigne tout en dévoilant son existence. La matérialité du dessin est mise à nu, la ligne ne capte plus les choses, et l'absence volontaire de « maîtrise » des moyens et des fins crée une imagerie troublée. Cette imprécision ne dissimule pas la nature épistémique de la représentation ouverte sur l'espace de l'imaginaire, qui agit et invente le « contre-espace » qu'est la perception de l'artiste. L'image crée son propre lieu mental, aiguisé par la vision directe ou sensitive de l'artiste englouti par l'internement, au point que « la vision du dedans s'extériorisera sur "une toute petite feuille" par une imperceptible agitation des doigts »29.

9Après sa libération en octobre 1940, grâce au mariage avec sa compagne Grety Dabija, Wols obtient un passeport français et séjourne à Cassis, où il se concentre sur l'observation de la nature :

  • 30 WOLS, Aphorisme n° 52, op. cit., p. 25.

A Cassis les pierres, les poissons,
les rochers vus à la loupe
le sel de la mer et le ciel
m'ont fait oublier l'importance humaine m'ont invité à tourner le dos
au chaos de nos agissements
m'ont montré l'éternité dans les petites vagues du port
qui se répètent sans se répéter.
Rien n'est explicable
nous ne connaissons qu'apparences30.

  • 31 Le comité Varian Fry ne prêta pas attention à sa demande.
  • 32 WOLS, Aphorisme n° 46, op. cit., p. 24.
  • 33 Id., Aphorisme n° 8, op. cit., p. 13.
  • 34 Id., Aphorisme n° 1, op. cit., p. 11.
  • 35 G. BACHELARD, op. cit., p. 14.

10Cassis est une période de transition, après que sa tentative d'émigrer aux États Unis ait échoué31. Parallèlement aux dessins et aux aquarelles, Wols s'est remis à la photographie, observant la nature, la matérialité de son environnement, son immobilité mais aussi les reflets de l'eau, introduisant un temps suspendu à l'abri des contingences et choisissant de gros plans fragmentaires dans des structures homogènes. En optant pour une vie contemplative à Cassis, les photographies de Wols proposent un nouvel univers, où l'instant semble être vécu et saisi par l'artiste qui « aime sincèrement la matière qui nous entoure »32. Il illustre une certaine philosophie de vie, passive et contemplative, et photographie la matière des choses puisque « sans matière, l'unité / ne peut pas se faire »33. Dans ce temps vécu « À chaque instant / dans chaque chose / l'éternité est là »34 et la matière devient « le principe d'un bon conducteur qui donne la continuité à un psychisme imaginant »35.

  • 36 Jusqu'au 9 septembre 1943, Dieulefit est sous occupation italienne.
  • 37 Henri-Pierre Roché fait la connaissance de Wols le 21 décembre 1941. Grâce à l'écrivain, Wols renco (...)
  • 38 R. UBAC, op. cit., p. 36.
  • 39 E. LÉVINAS, op. cit., p. 26.
  • 40 Henri-Pierre ROCHÉ, « Souvenirs sur Wols », in Aquarelles et Dessins de Wols, Paris, Delpire, 1963, (...)

11En 1942, à l'approche des troupes d'occupation allemandes, Wols et sa femme quittent Cassis. Ils transportent dans leurs bagages des fragments de cette nature, cailloux et pierres ramassés, et s'installent à Dieulefit36 jusqu'à la fin de la guerre. L'écrivain Henri-Pierre Roché37 observe l'attitude du peintre qui sombre et se détruit dans l'alcool : c'est avec son corps que Wols dit la manière dont il a vécu l'exil, l'isolement et son retrait de la vie artistique – « c'est par la médiation du corps que l'esprit heurte le monde extérieur pour substituer la réalité de la vision à la réalité des choses »38. Les dessins et les écrits sur de petits bouts de papiers se présentent alors comme des éléments corpusculaires, subissant changements et participant à la « décomposition » de l'œuvre, comme à celle de l'identité de l'artiste. Il existe une véritable solidarité entre les différentes manifestations artistiques de Wols, des parties/parcelles d'un tout où « le corps sera pensé comme inséparable de l'activité créatrice »39. Sa perception est chaque fois plus influencée par l'alcool, « il boit une toute petite gorgée de temps en temps, régulièrement toute la journée, il s'humecte comme un coton de briquet. C'est une pression qu'il maintient »40, puisque, comme le précise Wols :

  • 41 WOLS, Aphorisme n° 179, op. cit., p. 68. L'orthographe a été respectée.

Pour que ma petite usine marche (Banjo, dessins, etc.)
il faut que je sois constamment dans un état zéro
(neutre ou nul ou vide)
de demi-malade/demi-ivresse
demi-tristesse
folie
demi-sage (demi-folie enchanté)
(en évitant tout préméditation)
le moindre dérangement de cet équilibre
me dérange ou m'empêche41

  • 42 J.-P. SARTRE, « Doigts et non-doigts », op. cit., p. 414.
  • 43 Ibid., p. 421 sq.
  • 44 Ibid., p. 421.
  • 45 Ibid., p. 419.
  • 46 Pour une analyse plus détaillée de cette œuvre, nous nous permettons de renvoyer à notre étude « Ap (...)
  • 47 Satisfaire les besoins élevés de l'esprit, transmettre des contenus et être l'interprète d'une comm (...)
  • 48 H.-P. ROCHÉ, op. cit., p. 205.
  • 49 W. BENJAMIN, Petite Histoire de la photographie, Œuvres II, Paris, Folio essais, Gallimard, 2000, p (...)
  • 50 Hannah ARENDT, Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972, p. 229.
  • 51 H.-P. ROCHÉ, op. cit., p. 206.
  • 52 Constellations, c. 1942, aquarelle et encre/papier, 35,9 x 27 cm, Art Institute Chicago.
  • 53 WOLS, Aphorisme n° 59, op. cit., p. 27.
  • 54 Id., Aphorisme n° 23, op. cit., p. 18.
  • 55 Antonin ARTAUD, Van Gogh le suicidé de la société (1947), Paris, Gallimard, 2001, p. 62.
  • 56 Ibid.

12La vision du peintre est prise dans une logique de l'imprégnation des choses. Affecté et ayant « une relation physiologique avec l'indivisible »42, Wols transforme cette souffrance de l'extériorité en manière d'être : « ce qu'il veut dire, lui, c'est que les objets le touchent parce qu'il a peur de se toucher sur eux. […] Il se fascine sur les objets extérieurs quand ceux-ci lui apparaissent comme les produits de son écriture automatique »43, dans une dégradation physique autant que psychique. Sa situation d'exilé a renforcé le sentiment de l'altérité dû à la menace ressentie pendant son internement. Sartre explique que Wols « se subit […], les choses du dehors le retournent dans la mesure exacte où celle du dedans, l'innommable, l'a projeté sur elles »44. À partir de cette identification et de ce que l'objet plastique lui renvoie, alors qu'objet et sujet se rejoignent, Wols décide de récuser tout acte et de développer « cette praxis introvertie que [Sartre] nomme activité passive »45. L'autoportrait photographique, Apatride (1944)46, expose ce repli dans la passivité hermétique de sa sphère privée, et manifeste explicitement son refus de remplir la fonction attendue de l'artiste47. L'image affiche aussi l'impuissance et la solitude du peintre qui s'est marginalisé socialement, comme Henri-Pierre Roché l'a constaté : « très vite en ces quatre ans, il pencha du côté maudit. Il avait une dévotion croissante pour Artaud et Lautréamont »48. Dans cette photographie, Wols souligne la complexité de toute représentation, en y introduisant l'écriture dont la nature « est autre que celle qui parle à l'œil-autre, avant tout, en ce qu'à un espace consciemment travaillé par l'homme se substitue un espace élaboré de manière inconsciente »49. Son autoportrait porte la trace d'une histoire qui impose au Sujet l'isolement mais aussi la privation de son identité et de la réalité comme l'a analysé Hannah Arendt : « Ce qui rend la désolation si intolérable c'est la perte du moi, qui, s'il peut prendre réalité dans la solitude, ne peut toutefois être confirmé dans son identité que par la présence confiante et digne de foi de mes égaux »50. A Dieulefit, Wols réalise des œuvres à l'aide d'une « petite plume (…) toujours rouillée et d'un pinceau pauvre en poils »51, sur des feuilles de petits formats, et exprime de façon dramatique sa vision fourmillante et chaotique d'un microcosme, reflet de tous les maux du monde. Dans Constellations52, les lignes se dissolvent sur la surface du papier, elles n'enserrent plus les couleurs. Plus concentrées, les zones rougeâtres créent visuellement un axe vertical autour duquel se s'éparpillent les lignes et se diluent les couleurs, sans fermeté, sans précision : le fourmillement expressif s'absorbe dans la matière et le support. Quelques formes oculaires sans consistance nous égarent sur la surface, révélée en même temps que les traces du geste du peintre. Les formes incertaines pointent le laminage que Wols exécute, rempli de doute et d'angoisse. Le peintre attire le spectateur dans une expérience de l'incertitude au gré des lignes, des entrelacs, des vides et de leurs dispositions, dans un dédale d'évocations où l'imagination tentera de dévoiler les silences puisque « l'expérience que rien n'est explicable mène au rêve »53. L'errance de la pensée et du sens s'associe à une pratique fragmentaire qui menace de sombrer dans le non-sens ; elle propose aussi un vagabondage parmi les couleurs et les lignes et une autre expérience du temps où l'artiste témoigne que dessiner et écrire sont une expérience du corps, qu'elle est le temps de l'extrême passivité – « Ne pas faire / mais être et croire »54 – et une expérience de l'errance créatrice, à l'instar de sa situation d'exilé et d'apatride. Dessiner reste pour Wols l'« action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l'on sent et ce que l'on peut »55 – ou selon le conseil d'Artaud : le « miner […] et le traverser à la lime, lentement et avec patience… »56. Le choix d'une forme réduite, voire empêchée, est associé à sa manière d'être au moment où son Moi se détruit. La dislocation de la ligne défait le processus de la représentation et induit des transformations au sein de l'espace-plan dans une variété de relations non déterminées. Cette pratique – relation du corps à l'œuvre – souligne la fragmentation qui remet le sujet au centre morcelé (du corps comme du monde). Wols déconstruit la réalité sans rompre totalement avec celle-ci mais choisit de démanteler les principes de la représentation, « à la lime », puisque pour « se frayer un passage » à travers l'Histoire, le Sujet se fait en défaisant et en se détruisant plonge dans les territoires de l'imaginaire, dernier rempart face à l'aliénation de l'exil et aux diktats de l'Histoire.

Fig. 2

Fig. 2

Wols (Alfred Wolfgang Otto Schultze), Constellations, c.1942, 35,9 x 27 cm, aquarelle et encre sur papier, Art Institute, Chicago.

© Adagp, Paris 2018.

13L'« activité passive » de Wols est une manière de faire face aux bouleversements de son existence et à ceux de la représentation. L'artiste refuse l'image unitaire, un imaginaire sédentaire, et choisit le fragment permettant la mobilité de la recherche et de la pensée, un vagabondage créatif qui échappe à la certitude et à la stabilité. En élaborant un art du fragment, il pose la question de son identité (personnelle/artistique) et propose une manière de concevoir le monde.

  • 59 Trois souches dans le vent, 1944-45, aquarelle et encre / papier, 15,49 x 10,49 cm, collection priv (...)
  • 60 La grande tête, 1943, encre/papier, 30,4 x 25,4 cm, Karin und Uwe Hollweg Stiftung, Bremen.
  • 61 Fou aux cheveux flottants, c. 1942-1943, encre, aquarelle / papier, 22,8 x 15,2 cm, coll. privée.
  • 62 Paul VALÉRY, Degas Danse Dessin (1938), Paris, Gallimard, « Idées/Arts », 1965, p. 95 : « les forme (...)
  • 63 WOLS, Aphorisme n° 73, op. cit., p. 32.

15Dans Trois souches dans le vent (1944-1945)59, le geste saccadé provoque l'apparition d'une gerbe de filaments noirs, autour de racines rouges qui semble sortir d'un mouvement primaire et sa pratique reste avant tout un procédé heuristique fiable. Dans le dessin à l'encre, La grande tête (1943)60, nous retrouvons une « non-forme », des proliférations organiques sans aucun contour marqué, et un espace rempli de traits vermiculaires inscrits frénétiquement. Si les lignes sinueuses et les circonvolutions font apparaître des formes oculaires souples, les hachures et les pointillés brouillent la possibilité d'une lecture cohérente de la composition tout en affirmant la matérialité du dessin par la mise à nu de ses composants. Wols rejette tout projet de représentation achevée ou de figure omniprésente en se servant d'un dessin sans consistance pour exposer une structure qui se délite. Conscient de la présence du dessin, le spectateur fait appel à son imagination pour accéder à l'univers des « formes naturelles » de l'artiste. Le dessin ne fait pas sens mais il informe sur la présence d'éléments hybrides, proches de certaines formes naturelles (organiques, végétales, rhizomiques ou cosmographiques). Dans Fou aux cheveux flottants (c. 1942-1943)61, la ligne se défait et se fractionne, le trait évoque les antennes ou un œil d'insecte, ou bien se fait tâche, griffure ou point, sans créer de liens entre ces différents éléments pour n'être qu'une « possibilité » (selon l'expression de Paul Valéry62). À partir de moyens simples, Wols développe une « méthode » qui révèle la visibilité des éléments graphiques et affirme une gestualité concentrée : « il faut serrer encore l'espace / les mouvements des doigts et de la main / suffisent pour exprimer tout »63. C'est le geste de la main qui crée le mouvement du dessin et la répartition des couleurs, frottis, taches ou touches. Cette écriture ne représente plus, mais, à partir du dessin (outil de recherche, d'investigation) dont la subjectivité se laisse aisément percevoir, Wols interroge le monde et le graphisme lui-même. La genèse de l'œuvre, les pulsions et les actions visibles, rapprochent le « savoir voir » de l'artiste de son imagination : il suggère le processus « en devenir » de l'œuvre mais aussi l'impossibilité de donner forme à la représentation. Le fragment sollicite l'inconnu, sans rien affirmer hormis sa présence, et renonce à toute forme de pouvoir et d'interprétation :

  • 64 Id., Aphorisme n° 103, op. cit., p. 41. La transcription de la ponctuation a été respectée.

Difficile de lire mes dessins ?
……..les sentir………
Pas d'analyses ni d'explications s.v.p.64 !

  • 65 Sans titre, avril 1943, aquarelle et encre / papier, 10,43 x 7,28 cm, coll. particulière. C'est une (...)
  • 66 T. W. ADORNO, op. cit., p. 207.
  • 67 Samuel BECKETT, Molloy (1951), Paris, Éditions de Minuit, 2018, p. 36.
  • 68 Maurice BLANCHOT, cité in Revue Lignes, n° 3, 2000, p. 132.

16Dans l'aquarelle Sans titre65, il concentre tous les éléments graphiques et colorés de la composition sur une masse informe. La ligne griffe de nombreux écheveaux de fils, griffonnages et pointillés, répétitions labyrinthiques, d'où émergent des formes oculaires ainsi qu'un cadran (d'une montre ?). Dans ces agrégats de traits, qui tentent d'enserrer les couleurs, la structure globale verticale se désagrège à partir de l'accumulation des constituants du dessin. Avec subtilité, le peintre concentre les deux couleurs primaires, rouge et bleu dans la zone centrale, et joue sur les nuances et les tonalités. Si le rouge plus affirmé et compact offre des ancrages au regard, le bleu plus dilué s'évapore et se diffuse davantage vers les périphéries du dessin. Avec le doute, le trauma et l'angoisse, « l'apparence de l'art […] doit se briser, pendant que l'œuvre admet en elle les ruines littérales et non fictives de l'empirique, reconnaît la rupture et la transforme en effet esthétique »66 : le fragment manifeste les fractures subies par l'individu soumis à l'Histoire. Acceptant la perte des certitudes, Wols peut situer le fragmentaire dans un espace de subversion généralisée tout en en appelant à un sujet polyphonique, à une inscription poétique de ce sujet qui, dès lors, peut retrouver une liberté car « ne pas vouloir dire, ne pas savoir ce qu'on veut dire, ne pas pouvoir ce qu'on croit qu'on veut dire et toujours dire, voilà ce qu'il importe de ne pas perdre de vue dans la chaleur de la rédaction »67 ou de la création. Wols pose la question du signe (trait, ligne ou couleur), symptôme de souffrance, qui s'immisce dans la matière et constitue un lien entre ce qui est intérieur et extérieur au corps. Le choix du fragmentaire, avec la déréliction du peintre, serait, peut-être et paradoxalement, « une méthode-impatiente, mobile-immobile de recherche, et aussi l'affirmation que le sens, l'intégralité du sens ne saurait être immédiatement en nous […], nous ne le saisissons que comme devenir et avenir de question »68.

  • 69 Ibid..
  • 70 Maurice BLANCHOT, L'Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 235.
  • 71 Ibid., p. 238.
  • 72 Faubourg inhospitalier, 1944-1945, aquarelle et encre / papier, 17,7 x 10,6 cm, coll. particulière.
  • 73 Village au clair de lune, c. 1944, aquarelle et encre / papier, 17,62 x 17,39 cm, coll. particulièr (...)
  • 74 Ville sur pilotis, 1944, encre et aquarelle / papier, 13,89 x 18,49 cm, coll. particulière.
  • 75 Wols ne date pas ses œuvres – une exception pour celle d'avril 1943 – et ne donne pas de titres à s (...)

17Si « toute parole de fragment, toute réflexion fragmentaire exigent cela : une réitération et une pluralité infinies »69, le fragment n'est pas morcellement d'un ensemble ou d'un tout, mais un « langage autre »70, lié à une autre conception du temps – « éternelle répétition »71 –, ramassé sur lui-même, hors de toute continuité mais menant à une nouvelle expression artistique, proche de celle de la fugue ou des variations en musique. La désintégration de la forme, même si une certaine iconographie peut parfois persister – les racines, les micro-organismes, les villes, les navires –, présente la forme fragmentaire associée à une manière de concevoir le monde et une certaine gestualité. Les villes imaginées par Wols surgissent de réseaux linéaires, comme dans Faubourg inhospitalier72 (1944-1945) où la verticalité de la structure fait émerger quelques indices formels à partir desquels la ville nous apparait. À partir d'une tache noire centrale, véritable concentré de lignes et de traits griffonnés serrés, l'ensemble du réseau graphique se diffuse à moins que cette évasion de lignes et d'arêtes ne se résorbe dans un mouvement implosif. Les couleurs légères s'y évaporent indépendamment du dessin, alors que dans d'autres aquarelles, telles Village au clair de lune73 (c. 1944) ou Ville sur pilotis74 (début 1944), le rhizome de lignes et de touches se concentre sur une partie réduite de la surface pour faire surgir des cités, véritables mirages où les couleurs renforcent l'aspect irréel et fantomatique de ces constructions flottantes. Mouvant, le dessin de Wols ouvre l'œuvre à la prolifération des lignes. Moduler et fragmenter permettent l'émergence de l'indicible et offre une autre expérience, sans début ni fin75, d'une intrusion dans le corps de l'œuvre sans possibilité aucune de quelque césure entre matière et signe dans l'espace et le temps.

  • 76 WOLS, Aphorisme n° 115, op. cit., p. 43.
  • 77 WOLS, Aphorisme n° 274, op. cit., p. 102 : « Depuis 1913 (MDCCCCXIII) tout le monde me prouve que n (...)

18Cette nouvelle expérience du temps témoigne que le fragment n'est pas seulement une expérience du corps fatigué, angoissé et dans l'attente, le temps de l'extrême passivité où le réel est défait, mais un processus, un phénomène en devenir et dynamique dans le rapport du tout aux parties. Telle la contrainte extérieure, l'œuvre de Wols se constitue de parcelles et dessins dont le caractère d'urgence et l'absence volontaire de moyens laissent les constituants lire ouvertement la matérialité, le fonctionnement et le processus de création : « une œuvre est une composition ou même une décomposition du moment, de l'homme et du lieu »76. Afin de mettre à distance tout aspect représentatif et illustratif, l'artiste refuse la cohérence, trop artificielle, et préfère les lignes brisées, multiples, contournées ainsi qu'un matériau modeste (encre, crayon ou aquarelle) comme ce qui résiste à tout processus d'organisation. En installant la précarité au cœur de la représentation, il donne au fragment la possibilité d'exprimer la perte définitive de la totalité et de présenter les restes significatifs de la modernité ou de son projet utopique parce qu'aucun « progrès n'est possible »77.

  • 78 Serge GUILBAUT, Voir, ne pas voir, faut voir : essais sur la perception et la non-perception des œu (...)

19Après la guerre, le 21 décembre 1945 fut inaugurée l'exposition de dessins et aquarelles de Wols à la galerie Drouin. Le galeriste permit à Wols de se doter de toiles et de peinture à l'huile. Wols avait quitté Dieulefit quelques semaines avant l'exposition et s'était installé à Paris où il poursuivait son travail sur le signe et la matérialité de l'œuvre sur de grands formats, optant pour un « art de la décrépitude »78. Sorti de sa situation d'exilé, Wols n'accepterait pas une normalisation de ses conditions de vie.

20Ces peintures à l'huile, « nouveau » medium, montrent l'effacement du langage, de l'individu devant la matérialité de la surface picturale. Cependant, il semble que Wols préféra se consacrer à une œuvre « totalisante » sous la forme d'un petit livre, constitué de fragments, de citations, d'aphorismes, d'extraits de romans accompagnés de dessins et d'aquarelles. Ce « petit livre noir » fut publié en décembre 1945 en guise de catalogue de l'exposition à la galerie Drouin, mais

  • 79 WOLS, Aphorisme n° 98, op. cit., p. 40. La transcription de la ponctuation a été respectée.

Cette époque malade ne me permet de faire
qu'une suite d'aspects non convenus sans but marchand
– un petit livre qui regarde un peu derrière
Le voile de l'aspect superficiel79.

  • 80 W. BENJAMIN, Sur le Concept d'histoire, op. cit., p. 433.
  • 81 L'exposition a lieu du 22 mai au 17 juin 1947 et présente quarante œuvres de Wols.
  • 82 MATHIEU, De la Révolte à la renaissance. Au-delà du Tachisme (1963), Paris, Gallimard, coll. Idées, (...)

21Il y donne à voir un rejet de toute culture humaniste et de son concept de totalité, puisqu'« il n'est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie »80. Lors de l'exposition de mai 1947 à la galerie Drouin81, le peintre Mathieu déclara qu'« après Wols, tout est à refaire »82, soulignant que :

  • 83 Ibid., p. 38.

Wols a d'emblée utilisé génialement, irrémédiablement et irréfutablement les moyens de dire qui sont ceux de notre temps et les a portés à leur maximum d'intensité. Qui plus est, ces moyens d'expression sont – et ils ne pourraient l'être davantage – ceux du vécu83.

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